Décidément, ce virus aura réussi à bouger des frontières et autoriser des prises de paroles tout azimut et sur tout. La tribune publiée hier 14 août dans Libération en est une n-ième illustration. Un collectif de médecin prend position (ferme) pour demander le port du masque sur différents lieux dont les lieux de travail. Pourquoi pas. Mais cette demande par voie de presse pose 2 questions.
Quelle compétence utile pour aborder la prévention au travail ?
Le collectif signataire est composé de médecins généralistes, médecins-écrivains, médecins épidémiologistes, de vétérinaires… Les compétences de ces personnes sont-elles suffisantes pour porter une analyse sérieuse sur le monde du travail et les conditions d’exposition des travailleurs aux risques professionnels, y compris le risque de contracter la Covis-19 ? La réponse est bien entendu non, car en matière de prévention en milieu de travail, il est nécessaire d’aborder l’activité des travailleurs et la manière dont ils peuvent être exposés aux risques. C’est le métier des professionnels de prévention, dont plusieurs milliers de médecins du travail, ergonomes, toxicologues ou ergo-toxicologues, ingénieurs de prévention, spécialistes des EPI… On peut d’ailleurs s’interroger qu’aucun médecin du travail et aucun Pr de médecine du travail n’ait paraphé cette tribune. Outre la « demande » portant sur le masque, le collectif semble ignorer que l’entreprise est un lieu privé encadré par des textes précis à propos de la protection des travailleurs et des responsabilités de parties.
Quelle méthode pour faire progresser la prévention Covid-19 ?
Prendre part au débat par voie de presse, pourquoi pas. Mais cette démarche pourrait être précédée d’une concertation avec les acteurs de la prévention en milieu de travail. Il aurait suffit au collectif signataire de décrocher un téléphone, d’appeler quelques confrères spécialistes du travail ou d’autres préventeurs ayant une bonne connaissance de ces milieux, pour se rendre compte que la protection des travailleurs ne se résume pas au port du masque ou au télétravail. D’une part, selon les métiers le masque est parfois inadapté, parfois inutile, parfois insuffisant… D’autre part un grand nombre d’autres modalités de protection existe, en particulier les protections collectives telles la ventilation des lieux, la distance, l’isolement, le nettoyage périodique des salles, ateliers, outils et sanitaires, le renouvellement journalier des vêtements, le non-covoiturage… Faut-il rappeler par ailleurs que le Code du travail accepte les protections individuelles (et donc le masque) dès lors que les protections collectives ont été autant que possible mises en oeuvre ? Quand à invoquer le télétravail comme solution évidente et indolore, s’il peut être une réponse possible, le collectif signataire semble ignorer les conditions exécrables de travail à domicile et les nombreux décrochages de compétences conduisant parfois à la perte de l’emploi.
Le masque, encore le masque, qui est dans cet article plus un objet symbolique permettant la visibilité des auteurs de la tribune qu’un réel objet de débat sur l’efficacité de la protection des travailleurs. Une turbulence supplémentaire qui, posée de la sorte, ne fera pas grandir la prévention.